7 octobre 2014

L'Empire européen de Charles Quint

   Après mon précédent post sur l'Empire ottoman, il m'a paru logique d'aborder l'autre empire européen de l'époque moderne : celui de Charles Quint. Je ne parle pas uniquement du Saint Empire Romain Germanique, car cet empire-là n'est qu'une partie des possessions de Charles Quint. En effet, notre homme est non seulement empereur du Saint Empire, mais encore roi d'Espagne (enfin, des différents royaumes d'Espagne : Castille, Aragon, et les sous-royaumes qui en font partie), duc de Brabant, roi de Naples et de Sicile, archiduc d'Autriche et - last but not least - il est maître des possessions américaines de l'Espagne.

L'Empire de Charles en 1547. En vert, il n'y a que les terres qu'il possède de manière héréditaire : le Saint Empire étant électif, il "n'appartient" pas à Charles, même si, de fait, les empereurs sont toujours élus dans sa famille, celle des Habsbourg. (source)

   La question qui se pose est la suivante : comment donc Charlie a-t-il pu réunir un tel empire ?
   Par le hasard. Charles Quint est le résultat d'une politique matrimoniale à l'échelle de l'Europe qui fait de lui l'héritier de 4 (ou 5) dynasties différentes. Pour comprendre, rien de mieux qu'une petite généalogie : je vous invite à regarder celle de Wikipedia, c'est la seule que j'ai trouvée qui soit relativement simple.
   Donc, Charles descend, par sa mère Jeanne la Folle, des deux Rois Catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon. Isabelle possède non seulement la Castille, mais aussi les possessions espagnoles en Amérique. Ferdinand est roi d'Aragon ainsi que du royaume de Naples et de Sicile (soit tout le sud de l'Italie). Ferdinand et Isabelle ont pour fille Jeanne : celle-ci devient reine de Castille à la mort d'Isabelle en 1504, tandis que Ferdinand garde l'Aragon. Jeanne est ensuite reine d'Aragon, en 1516, à la mort de son père Ferdinand. Mais Jeanne a un petit problème : on la surnomme Jeanne la Folle, elle est instable, ce qui la rend inapte à gouverner. De fait, pendant tout son "règne", elle sera enfermée Tordesillas, d'abord par son père Ferdinand, puis par son fils Charles Quint, qui est officiellement régent en son nom, mais qui en réalité est véritablement roi.
   Voilà pour l'héritage espagnol de Charles. 
   Du côté de son père, Philippe de Habsbourg dit le Beau, Charles a un héritage non moins glorieux : son grand-père, Maximilien de Habsbourg, détient l'Autriche et une partie de la Hongrie, ce qui le met d'ailleurs aux prises avec les Ottomans. Il est aussi empereur. Sa grand-mère, l'épouse de Maximilien, est Marie de Bourgogne. Marie est la fille du dernier duc de Bourgogne, Charles le Téméraire ; elle possède le Brabant et le Luxembourg, entre autres. Philippe le Beau ne sera jamais empereur, car il meurt en 1506, avant son père donc.

    Charles Quint, né en 1500, hérite donc du Brabant et d'autres terres en 1506, à la mort de son père. En 1516, à la mort de son grand-père Ferdinand, il devient roi des Espagnes (avec sa mère - du moins officiellement). En 1519, à la mort de Maximilien, il hérite des possessions autrichiennes de son grand-père et est élu empereur. A 19 ans, le jeune Charles est donc maître de la moitié de l'Europe. Bonne situation.

   Mais tout ne se passe pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Charles a été élevé en Brabant, il est de culture germanique et bourguignonne. Il débarque en Espagne à la fin de l'année 1517, puis repart en Allemagne pour se faire élire. Mais pour cela, il corrompt les électeurs. Et ça, ça coûte cher. Charles demande à la Castille de participer à l'effort financier. Mais les Castillans refusent le gouvernement trop flamand de leur roi, et ils ne veulent pas payer pour un destin impérial qui ne leur rapporte rien d'autre que des dettes. Les villes de Castille profitent donc de l'absence de Charles pour se rebeller en 1520 : c'est la révolte des Comunidades (terme qui désigne les villes-capitales des 18 provinces de Castille). Dans l'Empire, il y a aussi quelques problèmes : le principal s'appelle Luther. Il sera mis aux bans de l'Empire en 1521, mais cela n'empêche pas ses idées de se répandre, y compris parmi les princes impériaux, qui sont loin d'être tous soumis à l'empereur.

   Le début du règne de Charles Quint est donc un peu chaotique, mais tout se stabilise grâce à la mise en place d'un gouvernement centralisé et efficace. Il y a d'autres troubles sous son long règne, mais il serait trop fastidieux (et pas forcément intéressant) de les énumérer.

   Je voudrais me pencher rapidement sur un des éléments les plus connus du règne de Charles Quint : sa rivalité avec la France, et principalement avec François Ier.
   Pourquoi une telle rivalité ? En 1519, Charles fait campagne pour l'Empire, imité en cela par François Ier, qui aimerait bien devenir empereur à la place de l'empereur. Dès le départ, les relations sont donc un peu tendues. A cela s'ajoute une sombre querelle d'héritage autour du duché de Milan, chacun le revendiquant pour lui en prenant pour preuve des généalogies interminables. Même chose pour le duché de Bourgogne, intégré à la France à la mort de Charles le Téméraire (l'arrière-grand-père de Charles Quint, si vous avez réussi à suivre ces généalogies pour le moins complexe). Sans rentrer dans les détails parce que les guerres d'Italie sont terriblement compliquées, on peut dire que la balance penche tour à tour du côté de Charles ou du côté de François : les victoires françaises alternent avec les victoires allemandes ; entre les deux sont signées des paix bancales et jamais respectées. La victoire la plus marquante de Charles Quint est celle de Pavie, en 1525 : les troupes allemandes font prisonnier François Ier, qui est emmené en captivité à Madrid - défaite plus qu'humiliante pour le roi de France, qui n'est libéré qu'au bout d'un an, après la signature du traité de Madrid. Ce traité prévoit que François doit céder la Bourgogne à Charles Quint et ne plus intervenir en Italie. Mais évidemment, François Ier s'empresse de ne pas tenir sa promesse. C'est à cette époque aussi que commencent les premières tractations de la France avec l'Empire ottoman pour prendre en tenailles Charles Quint, même si François Ier nie ces alliances avec une mauvaise foi déconcertante.
   Les guerres entre la France et le Saint Empire sont récurrentes sous le règne de Charles Quint, elles marquent une bonne partie de sa politique et occupent une bonne partie de son temps.


   Dernier aspect du règne de Charles : sa politique familiale et matrimoniale.
   Charles a quatre sœurs et un frère, un fils et deux filles légitimes. De quoi nouer des alliances avec une bonne partie de l'Europe. Charles épouse une infante de Portugal, Isabelle. Il est de coutume, pour les rois d'Espagne, de s'allier aux rois de Portugal à chaque génération (ce qui crée des situations de consanguinité abominables, mais ce n'est pas la question). La sœur aînée de Charles, Éléonore, épouse aussi un membre de la famille royale portugaise, le roi Manuel Ier ; en 1530, suite à un énième traité, elle se remarie avec François Ier. La sœur cadette de Charles, Catherine, épouse également un infant portugais, qui deviendra Jean III de Portugal. Isabelle, autre sœur de Charles, épouse quant à elle le roi de Danemark Christian II. Les deux derniers membres de la fratrie, Ferdinand et Marie, épousent respectivement Anne Jagellon et Louis II Jagellon (roi de Hongrie), ce qui permettra à Charles Quint de mettre Ferdinand sur le trône de Hongrie à la mort de Louis II en 1526.
   Grâce à ses frères et sœurs, Charles Quint se crée donc des liens avec un certain nombre de cours européennes. On peut ajouter que sa tante maternelle, Catherine d'Aragon, est reine d'Angleterre (c'est la première des nombreuses femmes du roi Henry VIII).
   Charles Quint utilise aussi ses enfants pour asseoir sa politique européenne : il marie son fils Philippe à Marie de Portugal puis à Marie d'Angleterre (toutes deux sont ses cousines), il fait épouser à sa fille Marie son cousin, le futur Maximilien II d'Autriche, et à sa fille Jeanne un autre infant portugais.
   Charles Quint abdique en 1555, trois ans avant sa mort. Il partage son immense empire entre son fils Philippe, qui devient roi d'Espagne et récupère les Amériques, et son frère Ferdinand, qui hérite des Etats habsbourgeois et du Saint Empire. C'est la raison de la bipartition entre les Habsbourg d'Autriche et les Habsbourg d'Espagne, qui dure jusqu'en 1700. Ainsi, l'épouse de Louis XIV, qu'on appelle Marie-Thérèse d'Autriche, est en réalité fille du roi d'Espagne.
   La politique matrimoniale qui a donné naissance au prince le plus puissant d'Europe influence donc le continent pour un siècle et demi au moins. La géopolitique de l'Europe est durablement marquée par l'Empire de Charles Quint. Le règne de Charles correspond également à une période d'apogée pour l'Espagne, qui est alors une des monarchies les plus puissantes d'Europe.
   J'ai volontairement laissé de côté les questions concernant l'Amérique du Sud, qui fait partie de l'Empire de Charles Quint : comme je l'ai dit dans mon tout premier article, je n'ai pas les connaissances nécessaires, hélas, pour parler d'autre chose que de l'Europe. J'ai aussi éludé les questions religieuses, et notamment celle de l'émergence du protestantisme sous le règne de Charles Quint : les traiter serait trop long et trop complexe. Peut-être y reviendrai-je un jour dans un article consacré uniquement à cela.

   Oh, je crois que j'ai oublié de vous dire une des choses les plus importantes sur Charles Quint : il est  laid. Preuve à l'appui (source) (et encore, ce n'est pas le pire portrait du jeune Charles).

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